Deux semaines... Deux semaines qu'il est partit et que je suis seule. Deux semaines qu'il a osé me dire qu'il me détestait et qu'il ne voulait plus de moi. Deux semaines que je me laisse aller, que je ne bouge plus de ma chambre ou que je ne touche plus à la nourriture qu'on me donne. Je ne me regarde même plus dans une glace de peur de voir mon reflet. Je sais que j'ai perdu mon éclat, ma joie de vivre. J'ai perdu au moins 5 kilos aussi, vu le peu de chose qui finissent dans ma bouche. Je fixe le plafond, réprimant un sanglot. Je ne peux pas rester comme ça, il faut que je fasse quelque chose...
Pour la première fois depuis deux semaines, j'ai l'impression d'avoir les choses en mains. Je sais ce que je fais. Je sais ce qui va se passer et personne ne va pouvoir décider à ma place. De toute façon je suis seule, personne sur le toit pour m'empêcher de faire ça. Je pose mon pied sur le rebord du toit, puis le second pour me percher au dessus du vide. Un sourire traverse mon visage. Je me sens libre. La liberté est importante pour les hommes. On est capable de n'importe quoi pour se sentir libre. Regardez, moi je suis prête à mourir simplement pour être libre. Pour me libérer de l'amour que je porte pour Christ. Christ qui m'a abandonné et qui m'avait donner l'impression d'être vivante. Pourtant c'est maintenant que je me sens vivante, quelques minutes avant de mourir. L'ironie du sort je suppose. Je souris de nouveau avançant un pied dans le vide. La porte de derrière moi s'ouvre et le bruit qu'elle fait me rappeler un souvenir perdu dans ma mémoire.
Allongée sur le lit d’hôpital, je fixai le mur. Blanc, sans une trace d'autres couleurs. Je venais de me réveiller, une affreuse douleur traversant mon bassin. L'infirmière m'avait donné de la morphine et m'avait conseillée de dormir encore. Elle avait cet air, triste, comme si elle avait de mauvaises nouvelles. Vous savez cette tête si particulière, les yeux sans expressions, tombant et ce petit sourire fade. Me rendormir était impossible. C'est la que la porte s'était ouverte, précipitamment. Christ était apparu, le visage fermé. Il s'était approché et m'avait pris dans ses bras. Je me souviendrais toujours de la phrase qu'il avait prononcé juste après: "Je suis désolé Synt mais ils n'ont pas survécus..."  
Agile, je réussi à me retourner sur un pied et à fixer le jeune homme qui apparaissait sur le toit. Je ne savais pas qui il était mais je lui souris et lui fis même un signe de la main.
-Désolée mais je dois vous quitter!
Puis je me retournais de nouveau vers le vide.

Il respirait fort mais lentement, comme pour me calmer en se calmant lui même. Il s'avançait de moi, pas à pas, doucement surement pour ne pas m'effrayer. Mais je n'avais pas peur, au contraire j'étais en plein possession de mes moyens. Je ne faisais plus face au vide, je fixai le sincère. C'était un avocat si je me souvenais bien. Plutôt canon pour un mec de 34 ans.
-Ecoute, je suis la, si tu venais avec moi, pour discuter ? Ok ? Ne fais pas de bêtises ...
Il  me tendis la main, pour m'inciter à descendre. Il n'avait rien compris en fait! Il croyait vraiment que j'allais revenir sur ce foutu toit? Il pensait vraiment que je voulais discuter? Un rire m'échappa et je secouai la tête. Pitoyable ce sincère! J'attrapais sa main et le tirai vers le rebord du toit, pour qu'il voit la hauteur à laquelle je me trouvais. J'étais agile, c'est ce qui me permit de lâcher la main de l'avocat et de le repousser d'un coup de pied tout doucement contre son torse.
-Tu as vu la hauteur? Tu as vu à quel point je suis agile? Toi tu ne l'es pas, ça se voit, alors ne me cherche pas! Je ne veux pas discuter et je ne reviendrai pas sur ce toit, surtout pas à tes côtés!
Bon bah ça c'est dit... Je le fixai, un sourire perfide sur le visage.
-Si tu veux vraiment discuter, viens ici, sur le rebord, juste à côté de moi. Et peut-être que là je t'écouterai... Mais je suis sûre que tu n'en ai pas capable!
Un rire m'échappa. Partir comme ça était super, je serai au moins morte comme j'avais vécu, en attirant l'attention sur moi!

L'avocat arqua un sourcil, visiblement confus et apeuré par ma façon d'être. Il n'avait pas à l'être! Après tout, j'avais le droit d'être heureuse de m'être fin à ma vie. Il ne connaissait pas mes motivations, ni mon passé, ni rien d'autre sur moi. Il n'avait jamais posé le regard sur moi alors pourquoi tout d'un coup je l'intéressait? Mais il fit un pas vers moi, comme pour me montrer qu'il se souciait de moi. Simplement pour l'effort, je ne bougeais pas, il semblait déjà assez affolé comme ça. Peur du vide surement... Moi ça ne me faisait rien, j'avais plutôt l'impression que le vent qui soufflait tout le long de mon corps me criait que je pouvais survivre à cette chute. Scientifiquement impossible, mais le vent me disait tout de même que j'en était capable. La pression de la Terre était assez forte mais les frottements de l'air exercés sur mon corps était suffisant pour que les deux forces s'annulent et que je ne bouge pas. J'avais appris ça lors de mes années de lycée, la force d'inertie si je me souviens bien.
- Pourquoi donc vouloir sauter ? Tu a encore toute la vie devant toi, ce serais bête de la gâcher non ? Enfin bon, j'pense que tu t'en fiche un peu de ce que je dit. Allons bon, pourquoi donc cette tristesse apparente ?
Je le quittais des yeux et levais la tête vers le ciel. L'avancé de la soirée permettait l'apparition de quelques étoiles. Je souris, pensant à un discours de mon père, qu'il aimait me répéter. Je reportais mon attention sur l'avocat.
-Tu sais qu'il faut tellement de temps à leur lumière pour arriver jusqu'à nous que les étoiles que nous voyons brillaient il y plusieurs millions d'années? Regarder le ciel, c'est comme regarder dans le passé. La plupart des étoiles que tu vois sont déjà mortes...
Je souris avec nostalgie, sans même prendre la peine de répondre à ses questions. Je ne voulais pas parler de ça, je voulais avoir mon propre sujet de conversation et non pas faire plaisir à un mec inconnu.
-Tu n'as pas l'impression d'être éphémère en sachant ça? Comme si rien n'était fait pour durer. Nous sommes de simples poussières dans cette galaxie, on y peux rien, c'est comme ça!

-C'est vrai. Mais tout dépend du point de vue. Je ne suis pas la pour te juger, si t'a envie de déballer ton sac, fait le, je m'en fiche, défoule toi, tape moi si t'en a envie, j'aime pas voir les gens malheureux comme toi.
L'idée traversa ma tête en un éclair et je sus que ce que j'allais faire était mal. Et puis qu'est ce que ça pouvait me faire? Personne ne pourrait me punir après alors pourquoi hésiter? Je m'apprêtais à le saisir par le col de sa chemise lorsque je vis son sourire, si mince qu'il était presque invisible. Il allait dire autre chose, je le sentais.
-Moi c'est William, mais tu peux m'appelée Will, en faite j'aime pas qu'on m'appel William.
Je plaçais un de mes pieds derrière les siens, comme pour lui donner une sécurité en plus, pour le retenir le temps de le rattraper si il tombait. Puis je l'attrapais par le bras et le faisait basculer. Vers le sol, à au moins 100 mètres en dessous, voire plus. Je le tenais toujours par le bras et je savais que je ne le lâcherai pas, mais lui ne le savais pas! Je souris en le fixant. Il avait peur, ça se voyait, ça se sentait.
-Alors si tu n'aimes pas, je t'appellerai William! Je n'aime pas faire plaisir aux autres, je préfère les pousser à bout jusqu'à les briser. Moi c'est Syntara, et tu n'as pas le droit de me donner un surnom. Si tu le fais je te lâche, et ne me cherche pas je suis capable de le faire! Une ancienne audacieuse n'a peur de rien!
Je le penchais un peu plus vers le vide tout en me penchant à mon tour. Nos visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. J'entendais presque les battements affolés de son petit coeur.
Oh et pour info, je ne suis pas malheureuse!

Je voulais l'effrayer, le faire partir, qu'il me laisse partir, qu'il me laisse finir ce que j'avais commencé. Il réussit à se redresser, n'étant pas si penché que ça, et je vis son envie de me ramener avec lui sur le toit. Pourquoi c'était si compliqué pour lui de me laisser ?
-Pourquoi donc vouloir sauter dans ce cas la ? Pourquoi s'arracher la vie si tout va bien ? Ce n'est qu'une façade, je le vois bien.
Soudain, je sentis une boule se créer dans mon ventre. Il y eu comme un effleurement au près de ma main et je crus voir le visage de ma mère. Elle était magnifique, près de moi, et sa main était dans la mienne. Je souris tristement et elle le fit à son tour. Mais tout était triste chez elle, pas simplement son sourire. Je crus même l'entendre me murmurer "Tu n'as pas à faire ça Syntara, ce jeune homme est là pour te sauver, saisis ta chance de recommencer..."
Puis plus rien. Je me tournais vers William, des larmes emplissant mes yeux. D'une voix enrouée, surement à cause de la tristesse mais aussi de la rage, je murmurais:
-C'est ma chance de recommencer...
Je baissais la tête et décidais de retourner sur le toit. En me rapprochant de l'avocat, je compris ce que ma mère avait voulu dire. Quitter ma faction avait été une erreur lorsque j'avais encore Christ mais maintenant que personne ne me restait dans mon ancienne faction, je pouvais vivre dans le présent. Pas dans le passé comme j'avais l'habitude de faire avec Christ. Là je pouvais créer une nouvelle Syntara, je pouvais devenir quelqu'un de bien. C'était ma chance.
-Pourquoi te donner tant de mal pour moi, alors que tu aurais pu faire comme tout les autres et simplement passer ta route en voyant que j'étais là? Tu n'es ni mon père, ni mon frère, tu ne fais pas partis de ma famille. Je n'en ai plus de toute façon...
Je me rapprochais de plus en plus de lui. Mes bras pressés contre mon ventre, j'essayais de récupérer un peu de chaleur. Quel idée de monter sur un toit sans veste ! Je soupirai, laissant couler pour la première fois depuis plusieurs semaines des larmes. Je venais de réaliser que je ne devais pas avoir honte de pleurer. J'avais mérité le droit de pleurer pour toutes les pertes que j'avais subis.

Le jeune homme enleva sa veste pour la poser sur mes épaules. Un long frisson me saisi alors que je posais mon regard sur mon épaule, là où sa main venait de glisser la veste noir. Alors que je laissai ses bras m'envelopper il me guida vers la cage d'escalier, un léger sourire aux lèvres.
-Simplement parce que je ne pouvais pas laisser quelqu'un s'ôter la vie devant moi. Un peu Altruiste hein ? Ca va mieux ?
Je souris à mon tour, marchant machinalement, sans même regarder où je mettais mes pieds. Comment je pouvais aller mieux en 5 minutes? J'eus envie de lui dire que sa question était légèrement stupide mai je savais que ça partait d'un bon sentiment. Je gardais donc ma réponse acerbe pour moi et me contentais d'approuver d'un signe de tête. Je ne voulais plus parler, comme si mon cerveau m'empêchait d'ouvrir la bouche pour créer des sons. Je soupirai, toujours dans mes pensées. Je devais retourner dans ma chambre, je devais me reposer pour reprendre le travail le lendemain. C'était important que je sorte de ma torpeur et que je recommence à avoir un train de vie normal. Je me tournais vers l'avocat et dit d'une voix éteinte:
-Désolée mais il faut que j'y aille. Merci pour la veste et.... et pour tout le reste...
Je souris en lui tendant la veste.