Cela faisait un petit bout de temps déjà que je passais plus de temps chez les Érudits que chez les Altruistes. Cela me gênais d'aller aussi souvent chez ceux qui étaient considérés comme les ennemis de Louis, mais cela faisait un petit bout de temps déjà que je ne le voyais plus passer dans les rues des Sans-Factions pour me donner à manger comme il ne me demanda plus de venir passer chez lui.
Cela me faisait peur. Est-ce qu'on lui a fait du mal ? Est-ce que l'on sait pour nous deux ? Que l'on s'aime secrètement même s'il est formellement interdit de se mélanger entre faction ? Je savais bien qu'il finirait par nous arriver quelque chose un jour ou l'autre. Mais je m'en voulais que cela soit envers Louis et non envers moi. Je suis un Sans-Faction après tout,
je sais à rien. Du moins, depuis peu, j'essayais plus ou moins de servir à quelque chose. De prouver au monde entier que nous n'étions pas des fainéants indépendant, geignant pour avoir un peu de pain et de tissus pour survivre. J'avais servis dans une école d’Érudits pour l'étude du corps humain, et à présent je servais de cobaye pour des expériences. Bien évidemment, en exerçant le métier le plus vieux du monde, je considérais également cela comme un job, mais il est sans doute plus sale et moins utile que jouer les rats de laboratoire pour les scientifiques... Grâce à moi, la technologie pourra continuer d'avancer. Du moins, c'est ce que je me disais. Peut être que les Érudits se diront que je ne suis qu'un outil comme un autre et que je n'ai pas le mérite d'être récompensé pour cette acte que personne n'aurait pourtant osé faire. Et encore une fois... Encore une fois je ne serais pas considéré à ma juste valeur, simplement parce que je suis un Sans-Faction, rien de plus.
Comme à mon habitude, je venais alors de me lever, ouvrant les yeux difficilement, assommé par ce produit que l'on m'administre avant de faire l'expérience afin, d'après eux, que je ne souffre pas, le corps étant sensible dès que l'on découpe. Je ne m'étais pas révolté depuis cet instant où je servis de corps d'observation pour une classe d'école. Je comprenais maintenant que cela était pour l'avancée scientifique et non pour me faire ouvertement du mal. Les Érudits sont des êtres intelligents. Ils ne sont pas comme ces brutes de Sans-Faction que je suis d'ailleurs moi-même. J'avoue qu'il m'arrive par moment de craindre ceux qui appartiennent une Faction, les considérant différents de moi. Adam d'ailleurs, qui est le scientifique s'occupant du projet où je sers de cobaye m'horrifiait terriblement au départ. Je m'étais fait à l'idée que c'était lui qui allait m'ouvrir. C'est lui qui allait me voir dans ma tenue d'Adam sans en être conscient. C'est lui qui allait être maître de mon corps tout entier sans que je puisse faire quoique ce soit. Et pour faire une expérience... Mais laquelle ? Lorsque l'on vint nous proposer de la nourriture en échange de notre corps pour la science, on nous précisa pas quoi explicitement. Mais on me le fit comprendre au même moment où l'on me demanda mon nom.
Chaton. Cela fit rire les trois scientifiques qui m’accueillirent. Je les aurais cogné s'ils auraient été des Sans-Factions, mais je ne voulais vraiment pas m'attirer les foudres des Érudits, ceux que je respectais beaucoup et que je considérais presque comme des Dieux tant ils avaient su inventer beaucoup de choses pour améliorer les conditions de vie des Factions.
Mais seulement des Factions. Je me demandais alors si je faisais bien de me proposer en tant que cobaye... Mais je me rappelais alors que malgré tout je gagnais de la nourriture. Et la présence d'Adam.
Si au départ il me faisait peur, je ne sais pourquoi une certaine attirance naissait chez moi envers lui. J'avais toujours aussi peur... Mais je l'appréciais aussi. C'était une sensation bizarre. L'apprécier parce que je le comprenais comme je ne pouvais m'empêcher de le respecter comme pour me préserver d'une espèce de danger, parce que je me trouvais en terrain inconnu. Qu'il y avait des tonnes d’Érudits. Qu'ils pouvaient me faire du mal comme ceux qui m'avaient tabassés avant de m'abandonner pour mort dans la rue. Et que des Altruistes sont venus me sauver et soigner mes blessures. Quel ironie que je puisse encore apprécier la faction d'où provenait mes anciens assaillants qui ont bien faillit me tuer et qu'aujourd'hui, je les aidais... Mais pouvais-je considérer Adam pour les crimes dont je fus victime ? Non. Qui sait s'il n'allait pas changer ma vie sur cette table d'opération...
Je le regarde et le souris assez faiblement tandis que je me réveille peu à peu. Je n'ose bouger la tête tandis que je ressens une vive douleur au niveau de ma gorge. Comme d'habitude. Je sais que ces maux sont normaux. Qu'il ne faut pas que je m'inquiète. Il n'a pas essayé de me tuer, seulement de me changer. Je tente de dire quelque chose en levant doucement le bras vers lui, mais je n'y arrive pas. Un simple...
Sort de ma bouche. Ma gorge me relance alors. Un léger grondement grave se fait entendre, à peine inaudible, je ferme les yeux. Je n'ai pas voulu faire cela, c'est presque inné et craignant qu'Adam le prenne mal, je baisse instinctivement le regard, l'air désolé. Mais je remarque que ce grognement. Non.
Ce ronronnement apaise la douleur. Je recommence alors doucement, mais en fronçant les sourcils, surpris. Est-ce cela que l'on attendait de ces expériences ? Un ronronnement ? Je m'arrête instinctivement avant de reposer mes prunelles sur Adam, quelque peu surpris et ne sachant comment accepter la chose.
Je sais ronronner. Je suis le premier humain à ronronner. J'ouvre à nouveau la bouche, espérant lui dire quelque chose d'autre, mais on pousse ma table qui roule sur le carrelage pour m'emmener je ne sais où...